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HISTOIRE DAOUI LARBI

HISTOIRE DAOUI LARBI
HISTOIRE DAOUI LARBI

 

                                                CONTRIBUTION

HISTOIRE DE DAOUI LARBI UN, DES SEPT VICTIMES DE LA MANIFESTATION OUVRIERE DU 14 JUILLET 1953, PLACE DE LA NATION A PARIS.

         Daoui Larbi, né en 1926 à Aïn-Sefra est considéré comme le premier martyr de la région. C’est un peu grâce à des hommes comme lui que la lutte armée a commencé.

         Il a suivi un enseignement à la médersa où il a appris quelques sourates du saint Coran. À quinze ans, pour subvenir aux besoins de sa famille, il a trouvé du travail chez le commerçant juif Pinhas. Après quelques mois d’apprentissage, il est devenu magasinier. Il commençait à s’habiller correctement et à parler le français. L’israélite et sa famille lui faisaient confiance parce qu’il était l’homme à tout faire. Il leur disait à chaque fois que le prophète de l’Islam avait un voisin juif et qu’ils vivaient dans une grande tolérance. On l’aimait aussi pour son humour. Il les faisait rire à chaque fois qu’ils se retrouvaient ensemble, soit autour d’un repas, soit lors des fêtes. Audacieux et curieux, il voulait tout apprendre. Quelques sages lui avaient dit : « C’est dans la politique qu’on devient quelqu’un. » On lui a désigné le libraire Si Mekki. Ce dernier l’a convaincu avec ses idées patriotiques et lui a fait comprendre qu’il était temps de militer pour la liberté. Après la seconde guerre mondiale, il a adhéré au Parti du peuple, le PPA-MTLD. Pinhas lui donnait toujours les 50 centimes, pour la cotisation, qu’il remettait au trésorier contre un reçu et, en contrepartie, il versait quelques sous au rabbin, pour la Palestine. Avec le temps, tous les musulmans de la ville l’ont surnommé Binhas, avec un « B », à cause de son amitié pour le juif. Larbi disait à ses détracteurs : « Il me donne du pain pour nourrir ma famille. Vous n’êtes que des jaloux ! »

  • « Il a dit un jour à son patron : 
  • Mon ami, je désire visiter la Palestine, pour comprendre la vérité.
  • Quelle vérité ? lui rétorqua-t-il, étonné.
  • Je n’aime pas les rumeurs. Je veux voir plus clair !

       Avec le sourire, il lui a inscrit sur un bout de papier l’adresse d’un membre de sa famille installé à Jérusalem, si jamais il souhaitait faire le voyage. Début 1941, une section d’exclus est arrivée par le train. Des insoumis qui avaient refusé le service militaire, des réfractaires, des bandits…Ils ont occupé, provisoirement, un bâtiment à la caserne. Lahouel Houcine, un responsable et co-fondateur du parti PPA était parmi eux. Il était déjà considéré comme un danger public notoire. Grâce à sa bonne conduite, il a été autorisé à faire la prière du vendredi à la mosquée de la ville. Il en a profité pour entrer en contact avec le libraire, et une cellule de travail a été créée pour rédiger des articles pour le journal « L’Action Algérienne », un organe clandestin de la jeunesse anti-impérialiste. Il se vendait en cachette à tous les militants. Deux agents des PTT, Kadi et Belhadj, membres du parti, avaient pour mission d’ouvrir des lettres confidentielles, de noter l’essentiel du contenu, de dresser un rapport et de le remettre à Lahouel pour le compléter et l’envoyer à la rédaction.

       Durant le mois de juin 1948, Larbi a quitté la ville discrètement pour Oran et pris le bateau en compagnie d’émigrés de la région pour Marseille. Il a rejoint les rangs nationalistes de France. Un premier contact ! Après un court séjour, il a pris le paquebot pour Beyrouth. Dans cette ville, il a été obligé de prendre un taxi pour arriver à destination. À Jérusalem, on lui a indiqué facilement le domicile de la famille de Pinhas. Il a été bien reçu par David, qui l’a aidé de son mieux à visiter la ville. Il a répondu à toutes ses questions au sujet du conflit israélo-palestinien. Il a passé quelques jours dans un petit hôtel touristique et fini par entrer en contact avec les musulmans palestiniens. Il faisait la prière à la mosquée El-Aqsa quand il a fait la connaissance d’une famille arabe qui l’a pris en charge pour une semaine. Après ce court séjour, il est retourné en France pas tout à fait satisfait de ce qui se passait dans ce pays. À Paris, il est resté quelques mois chez des amis émigrés. Il a fréquenté les militants du PPA-MTLD dans les différents lieux de rencontre. Il s’était convaincu que seule la lutte armée pourrait libérer la Palestine et l’Algérie.

         De retour à Aïn-Sefra, il n’a plus parlé que de guerre, mais discrètement, seulement aux musulmans. Les gens disaient qu’il était devenu fou. Il a appris que son ami Pinhas avait déménagé à Béchar. Il a pris le train pour aller le voir. Il l’a retrouvé dans son magasin au centre-ville. Il a été bien accueilli par son ex-patron ainsi que sa femme Jacqueline. Il leur a fait le récit de son séjour en Palestine et en France, sans leur dire, pour autant, ce qu’il en pensait, puis il leur a fait ses adieux. Pinhas lui a remis une lettre de recommandation pour son ami Simonin, le patron du Sud-Hôtel, pour qu’ils puissent l’embaucher. Ce dernier était très gentil. Il l’a accueilli chaleureusement avec sa famille et l’a chargé de l’entretien des chambres. Il lui a présenté sa femme Claudine et sa fille Jeanine. La confiance s’est installée entre eux.

         Larbi est devenu l’ami du douanier Julien Charles, qui logeait depuis quelques mois à l’hôtel. Grâce à ce dernier, il a fait la connaissance de plusieurs Français et surtout des militaires, qui venaient de temps en temps pour jouer aux cartes et aux dominos. Les sujets de discussion étaient toujours la contrebande, le trafic d’armes ou de marchandises etc… surtout les itinéraires que choisissaient les trafiquants par Sfissifa, Fortassa et Oulakak…Tout ce qui se passait à la caserne était rapporté par le lieutenant Claudot. Larbi rendait compte chaque matin, avant de reprendre son travail, à son chef politique Si Mekki, de tout ce qui s’était dit la veille. À l’hôtel, le service marchait très bien. La boisson était servie à gogo au salon d’accueil et surtout les repas préparés et servis par Jeanine au restaurant. Une bonne recette était enregistrée chaque fin de soirée. La joie emplissait le cœur de la famille Simonin, persuadée que ce bonheur était arrivé grâce à l’Arabe. La jeune femme partageait ses travaux avec lui et ils discutaient à longueur de journée en abordant des sujets d’actualité sur la politique, la religion et la culture en général. La fille était instruite et se vantait même de posséder un diplôme qui lui permettait d’enseigner.

           Il a découvert avec le temps qu’elle fréquentait Julien. Elle a fini par lui avouer son amour pour le douanier. Leurs rencontres se faisaient discrètement dans une des chambres vides, pour ne pas attirer les soupçons des parents. Larbi est devenu son ami et son confident. Un secret qu’ils partageaient tous les trois.

           Six mois plus tard, lors d’une réunion de son parti, il a été question de créer une cellule armée, appelée l’Organisation Secrète. La consigne : il fallait trouver des armes pour l’entrainement militaire. Un mois après, la mitraillette du douanier Julien a été volée. Ce dernier, affolé, a discrètement fait part de sa disparition à sa maîtresse, tout en accusant Larbi. Mais cette dernière l’a convaincu que l’Arabe n’avait rien avoir avec ça et qu’il avait un solide alibi. Elle lui dit que durant son absence, il était parti à Tiout pour rendre visite à ses parents, alors que l’arme était restée dans la chambre. Quelqu’un l’avait-il prise ? Le lieutenant Claudot était maintenant soupçonné. Mais pour le douanier, il fallait agir vite pour trouver un moyen de justifier la perte de son arme à son chef hiérarchique, sinon il risquait de passer devant une commission pour faute grave. Julien menait avec son groupe une lutte acharnée contre les passeurs et les contrebandiers. Chaque matin, il faisait des sorties, soit en compagnie d’une équipe, soit avec son ami chauffeur, pour un contrôle de routine. En cours de route, il lui a fait part de la perte de son arme. Une seule solution s’est présentée à eux. Il fallait qu’il se blesse à la jambe et qu’il brûle le véhicule pour donner l’impression qu’ils avaient été attaqués par des contrebandiers. Le plan a réussi. Une enquête a été ouverte sur le terrain puis l’affaire a été bouclée. Il a passé plusieurs jours à l’hôpital pour soigner sa blessure. Mais une question l’a obsédée tout le temps : et si l’arme avait été volée par un ami ? Peut-être par jalousie à cause de son amour pour Jeanine ? Aucun de ceux qui étaient venus à l’hôtel ne lui avait parlé de l’arme, c’était comme si rien ne s’était passé. Tout était rentré dans l’ordre, se disait-il.

          Pour Larbi, la Révolution avait été prioritaire. Il fallait des armes pour libérer le pays. Il n’avait pas eu le choix mais il avait aussitôt pensé à son ami douanier. Un plan avait germé dans sa tête. Il devait prendre un congé de deux jours pour aller voir sa mère qui était malade. Il a choisi le moment où les deux amoureux se rencontraient dans sa propre chambre. Après quelques heures d’absence, Larbi est retourné à l’hôtel et, avec un double de la clé, il a pénétré dans la pièce, pris l’arme et un sac de munitions et s’est faufilé jusqu’à la gare Bent Biriss (la fille de Pérez). Il a remis la mitraillette et les chargeurs à Belhadj, qui les a cachés dans sa maison. Après ce court congé, il a repris son travail normalement et toujours avec le sens de l’humour comme si de rien n’était. Il a bien sûr trouvé l’atmosphère un peu tendue, mais il n’a pas cherché à comprendre. Un mois plus tard, l’arme et les munitions ont été remises à Si Boubekeur (1), qu’il avait remis aux bandits d’honneurs Bouchrit et à son compagnon Lamari, qui, avec leur groupe de combattants, semaient la terreur dans la région de Géryville (El-Bayadh) en attaquant les postes militaires éloignés.

         Début du mois de juin de l’année 1953, Larbi a demandé à son patron l’autorisation de partir en France pour une visite familiale. À Paris, il a été pris en charge par un cousin installé depuis longtemps. Dans la capitale française, il passait son temps à sensibiliser les émigrés algériens pour la cause nationale et la libération de Messali. On le trouvait près des usines, des administrations, aux chantiers, aux chalets des ouvriers, et surtout à Barbès. Il est devenu populaire au sein de la communauté musulmane. Un vrai militant, disaient les uns, un cinglé disaient ceux qui ne croyaient pas à l’indépendance de l’Algérie.

         La France préparait la fête du 14 Juillet. Pour le Parti communiste, c’était une occasion à ne pas rater pour organiser une grande marche ouvrière. Le MTLD, lui aussi, voulait manifester pour demander la libération de son leader Messali Hadj et proclamer l’indépendance de l’Algérie. Dans une réunion, le secrétaire général par intérim a demandé à l’assemblée des volontaires qui ne craignaient pas la mort, pour hisser les banderoles de : «Vive l’Algérie indépendante, Tahia el Djazaïr ! Libérez Messali Hadj ». Larbi s’est porté volontaire pour hisser la première banderole. À la fin de la réunion, un militant sétifien lui a remis discrètement un drapeau algérien qui avait servi durant les manifestations du 8 mai 1945. Il l’a embrassé en pleurant et lui a promis qu’il serait hissé place de la Nation.

           Paris célébrait, ce jour-là, la fête nationale dans l’ambiance populaire et la joie traditionnelle. Deux mille nord-africains, d’après le journal l’Humanité, ont défilé devant l’Etat-major communiste place de la Nation, en réclamant plus de justice sociale, la liberté du leader algérien Messali Hadj et l’indépendance de l’Algérie. De sanglantes échauffourées ont eut lieu dans cette immense place. Les communistes ont évacué en désordre leur tribune de peur d’être désignés comme responsables de ce bain de sang. Sept Algériens ont été tués pour avoir porté les banderoles, en plus de cent vingt-six autres blessés, dont plusieurs grièvement atteints, transportés à la hâte dans les hôpitaux.

          Parmi les sept morts figurait Larbi, le premier assassiné par les gendarmes, à cause du drapeau algérien qu’il avait hissé tout haut. Son cercueil fut exposé ainsi que celui de quatre autres victimes à la mosquée de Paris, pour une dernière prière en sol français. Suite à la demande de la direction du MTLD, les corps des victimes ont été transférés en Algérie. Le cercueil de Larbi est arrivé un soir à Aïn-Sefra par fourgon, puis déposé à l’intérieur du mausolée de Sidi Boutkhil. Le lendemain, sur l’ordre de l’administrateur Meyson, son corps a été inhumé avec le drapeau algérien, dans l’ancien cimetière de Tiout, son ksar natal.

          Le 6 juillet 2017, une plaque commémorative a été apposée par la mairie de Paris pour leur rendre hommage, 12 avenue du Trône qui jouxte la place de la Nation.

                            Vive l’Algérie ! Gloire à nos martyrs !

1) Si Boubekeur : Commandant Kadi Mohamed - Ex Ministre des P.T.T.

Notes :

D. Kupferstein : Les Balles du 14 juillet 1953 (Edition : la Découverte).

 A.Mohammed Dit Hamou. Récits, Images et Témoignages (1930-2001) Edition 2018.

 C. Pennetier-Notice Daoui Larbi - version mise en ligne le 16 juillet 2017.

Journal L'Humanité du 14 Juillet 1953

Alla Belhadj :  Daoui Larbi.

                                                                        B.BELLAREDJ                                                 

 

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