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ISABELLE EBERHARDT ET LE COLONIALISME -CONFERENCE A ALGER LE 21/10/1996

ISABELLE EBERHARDT ET LE COLONIALISME -CONFERENCE A ALGER LE 21/10/1996
ISABELLE EBERHARDT ET LE COLONIALISME -CONFERENCE A ALGER LE 21/10/1996

ISABELLE EBERHARDT ET LE COLONIALISME

En réponse à ses détracteurs qui l'avaient accusé d'espionne au service de la France et aussi d'avoir traité Cheikh Bouamama de vieux détrousseur.

Allah a dit dans le Coran : " Apportez vos preuves si vous êtes véridiques " S.27 - V. 64 - 

    C’est en préparant une étude historique sur l’insurrection de notre grand héros national Cheikh Bouamama (1881-1908) pour un Concours National organisé en 1995 par notre wilaya et auquel j’ai été désigné par le jury parmi les lauréats, que je me suis trouvé face à une riche documentation (1903-1904), composée de textes de la journaliste et écrivaine Isabelle Eberhardt ; textes qui décrivent l’univers de l’autochtone, de sa misère et de son exploitation.

     Isabelle Eberhardt est enterrée pour l’éternité au cimetière de « Sidi Boudjemâa » à Ain-Sefra suite à la crue subite de l’oued « Sefra » qui a fait 26 morts, le 21 octobre 1904. Aujourd’hui, elle fait partie du patrimoine historique et touristique de la ville.

   Sa vie et son œuvre demeurent à jamais une référence pour tous les chercheurs et étudiants préparant des études ou des thèses de Licences, Magistères ou Doctorats. Je cite à titre d’exemple :

    Enslen Denise : Thèse Univ. Of Southern California U.S.A. 1979 : Isabelle Eberhardt et l’Algérie.

    Des événements sanglants ont surgi dans la région de Béchar renversant les données de l'occupant dans son avancée. (Chroniques de l'année 1903).

    Le 31 Mai 1903, l’escorte du Gouverneur Général d’Algérie Jonnart est attaquée sur la route de Figuig (Maroc), près de la palmeraie de Zénaga par les combattants de Cheikh Bouamama. Jonart a échappé de justesse à la mort à cette embuscade.

Du 17 au 18 Août 1903, six mille combattants de Cheikh Bouamama encerclaient le poste militaire de Taghit  sous la défense du capitaine Dessusbielle. Les combats ont duré plusieurs jours et des victimes ont été enregistrées de part et d’autres.

Le 2 Septembre 1903, deux cent combattants de Cheikh Bouamama, prenaient d’assaut, à El-Moungar, à trente Kilomètres au nord de Taghit, un convoi de ravitaillement, tuaient une quarantaine de légionnaires et blessaient quarante six sur les cent dix soldats de l’escorte. Les blessés ont été acheminés vers l’hôpital militaire d’Ain-Sefra.

Isabelle Eberhardt arriva à Ain-Sefra sous le pseudonyme de Si-Mahmoud à la fin de la première semaine de septembre, en qualité de reporter pour le compte du journal indigène l'Akhbar dont Victor Barrucand était le rédacteur en chef.

Elle écrivait : «  Ain-Sefra, Bled-el-Khaouf (pays de la peur)…Pas de passants civils, un silence lourd, presque une impression de ville en danger ».

Tous les journaux d'Algérie et de France publient articles, reportages ou témoignages sur la défaite d'El-Moungar et autres attaques sanglantes dans la région qui eurent un retentissement international.

A l'hôpital d'Ain-Sefra, elle interviewa les blessés d'El-Moungar. Elle écrivait : « ...Ces blessés étaient des étrangers pour la plupart, qui, venus de France, avaient failli mourir pour une cause qui n'était pas la leur ».

De tels événements n'étaient pas sans inquiéter le Gouverneur Général d'Algérie Jonnart. Il fallait mettre fin à l'insécurité dans le sud oranais.

La puissance coloniale réagit en nommant à la tête de la subdivision d'Ain-Sefra le colonel Lyautey, qui devient, dès son installation, Général.

Le 1er octobre 1903, il prit le commandement du territoire et traça une politique dite de "Pacification". Il rencontra dans son quartier général la journaliste Isabelle Eberhardt. Il lui demanda de collaborer pour la pacification des tribus en tant que spécialiste de la vie nomade et en tant que journaliste, mais elle refusa.

Le général, qui par le biais de la presse a eu une idée du caractère franc et dure de cette jeune femme libertaire. Il l'a traita plus tard dans ses écrits de « réfractaire ».

Le 12 novembre 1903, le général Lyautey occupa la région de Béchar et utilisa les mêmes méthodes que ceux utilisées contre les tribus du sud-ouest de l'Oranais. Il priva les deux grandes tribus : Ouled Jerir et Doui Ménii de leurs pâturages et les força à se soumettre en leur coupant les vivres.

Cette occupation a perturbé l'équilibre et a crée l'insécurité. Dans ce désordre, des fractions de tribus alliées fournissaient des « goums » et étaient élevées au rang de tribus et de nombreux, Aghas, Caïds et Chouyoukh étaient maintenus dans leurs postes de commandement. Par raillerie ou esprit de vengeance, ils provoquaient d'autres tribus, en traitant Cheikh Bouamama de « vieux détrousseur ».

Le Dr. Mohammed Roch, a rencontré deux textes dans son analyse parmi les nombreux textes que Victor Barrucand a modifiés et complétés : le premier est intitulé : « Hauts plateaux » -Ecrits sur le sable - P.211 : Isabelle Eberhardt faisait partie d'un convoi de chameaux qui se dirigeait vers le nord escorté par les « Goums » sous le commandement d'un Caïd.

Elle était sensible, non seulement à la variété des paysages, mais aussi aux gens dont elle comprenait les pensées et les désirs intimes. Elle ne fait que rapporter les dires de ces gens.

Les Goums et leur Caïd, en discorde avec d'autres tribus qui ont peut être refusé de fournir des « Goums », les accusent : « qu'ils n'ont plus envie de suivre Bouamama, leur ancien chef, traité de « vieux détrousseur ».

Dans un autre texte, le second : « Opinions de marabouts », mais cette fois-ci, c'est au sujet d'un cheikh, voyant la prospérité de sa zaouïa bouleversée et jugeant la lutte vaine, traita Cheikh Bouamama de « vieux détrousseur, de misérable imposteur, de fils de brocanteur ». Ce sont effectivement les paroles du cheikh qu'Isabelle rapporte.

De cette situation alarmante le Dr. Boualem Bessaïh écrivait : « Rien n'a été plus sérieux pour la colonisation que de perpétuer et cultiver les discordes, de multiplier les querelles de vengeance, et partant, de faire jouer aux chefs de Bureaux arabes le rôle de "pacificateur bienveillant" et "d'arbitre équitable ».

Devant cet état de fait, Isabelle Eberhardt n'est pas restée indifférente, début 1904, elle entre en contact avec Ernest Girault, chef du mouvement anarchiste français pour venir constater les méfaits de l'armée coloniale dans la région. Girault est effectivement venu à Ain-Sefra, mais entre temps Isabelle était morte. Ce dernier, en arrivant à Ain-Sefra, a eu la même impression qu'Isabelle Eberhardt.

« Dès mon arrivée, écrivait-il, j'étais choqué par l'ambiance : "La ville est militarisée, car à la descente du train, nous nous trouvons en face d'un bataillon d'officiers ». Il fait son rapport en écrivant : « La révolte des autochtones est une révolte JUSTIFIEE (majuscule) : Exécrable domination. Des militaires qui pèsent sur les tribus affamées et tyrannisées, des populations sous la botte du soudard ».

  Ernest Girault venait en Algérie, donner des conférences, quelques fois en compagnie de la célèbre Louise  Michel, grande figure du soulèvement de la commune de Paris en 1871. Ces deux grandes personnalités soutenaient Isabelle Eberhardt dans ses positions contre les méfaits de l’occupation française en Algérie.

L'intellectuel et diplomate algérien Mohammed Salah Dembri a laissé un jugement courageux et équitable à son encontre dans un article publié dans l’hebdomadaire « Algérie Actualité » n°262 du 25 Octobre 1970 : «A relire ses chroniques de l’année 1903 dans le journal « l'Akhbar» -  il faut ajouter : et celles du journal de la « Dépêche Algérienne ».On mesure le degré d’assimilation d’Isabelle à l’Algérie et l’ampleur de sa participation au vécu collectif du pays » (...) En journaliste passionnée, en Algérienne fervente, elle se plonge dans l'analyse de la condition humaine en Algérie à cette époque.

« Elle accuse la discrimination qu'instaurent les rapports politico-économiques nouveaux, la scandaleuse spoliation des autochtones ; elle dénonce l'ère des caïds et des fonctionnaires omnipotents "chargés de peupler l'Algérie et de toucher des appointements proconsulaires". Elle convainc déjà de la faillite de la colonisation, car là où le romanitaire Louis Bertrand et ses disciples ne voient qu’apports latins ou chrétiens, elle restitue avec force la permanence des valeurs arabo-islamiques et la cohésion du monde arabo-berbère."

De père inconnu ? Quelques envieux (colons racistes) avaient ouvert contre Isabelle Eberhardt une campagne immonde touchant profondément à sa personnalité dans le journal Bordelais « La Petite Gironde » en avril 1903 - Scandale électoral à Ténès - Elle se défend courageusement et apporte au même journal ces précisons : « ...Je suis la fille d’un père sujet russe musulman et de mère russe chrétienne, je suis née musulmane et je n’ai pas changé de religion. Mon père étant mort peu après ma naissance, à Genève où il habitait, ma mère demeura dans cette ville avec mon vieux grand oncle ».

A 27 ans, cette jeune femme a laissé toute une œuvre qui après sa mort la rendue célèbre. Dans les années trente et quarante, ces écrits ont été traduits en sept langues dont le japonais. Puis viennent les pièces de théâtres, les documentaires, les films qui ont fait le tour du monde et ont remué le milieu culturel colonial.

Isabelle Wilhelmine Marie Eberhardt est née à Meryn – Genève – Suisse -, le samedi 17 février 1877 d’une aristocrate russe d’origine allemande Nathalie, Charlotte, Dorothée, Moerder, née Eberhardt, veuve du général russe Pavel Karlovitch de Moerder, décédé à Moscou le 27 Avril 1873. Selon la confession de sa mère, la paternité est attribuée à un médecin  musulman. On ne peut raisonnablement mettre en doute la confession d’une mourante.

 Depuis 1872, madame de Moeder vit en Suisse après avoir quitté Saint-Pétersbourg avec le percepteur de ses enfants Alexandre Trophimowski, d’origine arménienne, ex-pope de l’église orthodoxe.

Mme de Moerder a eu toutes les raisons de cacher sa liaison avec le médecin musulman, son adhésion à l'Islam et la paternité d'Isabelle pour ne pas déséquilibrer la vie de sa famille qui était composée de six enfants et du percepteur (Renouveau islamique - Nahda - au dernier tiers du XIX° siècle et la montée du nationalisme arabe à la fin de ce même siècle qui ont secoué l'Europe).

Pour l'intérêt de sa famille, il fallait toucher la part d'héritage de son mari de Moerder, de bénéficier d'une pension et user du prestige de femme de général pour vivre en sécurité à sa Villa Neuve de Meryn.

Isabelle Eberhardt, quant à elle, n'a jamais révélé l'identité de son père et elle s'était toujours présentée comme étant la fille du général russe ce qui l'a aidée à s’en sortir aux moments difficiles des griffes de l'administration coloniale qui lui était hostile. Et rappelons qu'à cette époque la relation Franco-russe était bonne.

Que peuvent attendre Isabelle et sa mère de ce père qui les a quittées précocement ? La seule chose qu'elles ont héritée de lui et la plus précieuse au monde à mon avis, c'est «  La Foi en l'Islam ».

Fin mai 1897, Isabelle avait 20 ans. Elle débarque avec sa mère à Annaba. Elles éliront domicile dans le quartier musulman de la ville. Ce fut à cette époque que sa mère Nathalie se convertit officiellement à l'Islam sous le nom de « Fatima Manoubia ». Elle prononça la formule de la foi islamique « Chahada » devant l'Imam de la mosquée de la ville.

Le nom de « Manoubia »n'a-t-il pas une relation avec l'identité de son père ? Le 27 novembre 1897, sa mère mourut à la suite d'une crise cardiaque et fut enterrée au cimetière musulman à Annaba.

Du 23 juillet à fin août 1900, à El-Oued, elle reçoit l’initiation à la zaouïa d’El-Kadiriya et se marie avec Slimane Ehnni originaire de Sidi Mabrouk (Constantine), suivant la « Chariaâ - loi Islamique » sous le nom de « Meriem », nom, auquel, elle signait certains de ses articles.

Sillonnant les routes du Sud algérien en cavalier arabe, l’écrivain découvrira en sept ans de vie la souffrance d’un peuple conquis.

Ceux sont là quelques éléments que je soumets à la connaissance des détracteurs sans aucune rancune, je m'invite auprès d'eux pour les aider à mieux connaître cette personnalité hors du commun. Si celle-ci est appréciée et fait l'objet d'études et de recherches dans les plus grandes universités du monde, toute personne amenée à en parler pour une raison ou pour  une autre, doit l'aborder avec une grande précaution et sérénité. La calomnie est l'attribut des ignorants, tout le monde en convient. je fais appel à leur bon sens et à leur honnêteté intellectuelle, pour éviter de porter des jugements hâtifs, non fondés et graves sur une actrice et des événements historiques. Qu'ils daignent porter un regard sur mon présent écrit, qui se veut instructif et pédagogique, j'aurai aidé modestement à faire prévaloir la vérité auprès d'eux, pour une démarche critique et rationnelle par un sujet sensible tel que celui d'Isabelle Eberhardt.

Je m'autorise à croire qu'au sujet d'Isabelle Eberhardt, ils ont été victimes de la colère et de la précipitation. L'amalgame formulé dans la presse quant à cette question ne peut être que le produit d'un état d'esprit déstabilisé par la tentation de nuire à son vis-à-vis.

L'œuvre laissée à la postérité par cette écrivain-militant de la cause des autochtones, dans un contexte historique où la quasi-totalité excellait dans l'à plat-ventrisme au service de la colonisation, Isabelle Eberhardt s'est soulevée contre le statut-quo ambiant pour dire la vérité, informer, dénoncer et sensibiliser l'opinion occidentale, isolée et manipulée par les services de la soldatesque colonisatrice. Grâce à notre illustre écrivain, le refus de la colonisation par les résistants de Cheikh Bouamama et leurs combats répétitifs ont été répercutés en métropole et ailleurs. Grâce à elle, des voies connues ont manifesté leur désapprobation des méfaits perpétrés par l'armée d'occupation.

Mes amis, j'interpelle votre conscience et votre intelligence, afin d'aller à la réflexion constructive et aboutir à la vérité.

Sinon, El Moutanabi aurait raison d'affirmer que : « Autant le savant souffre de son savoir, autant l'ignorant est heureux de son ignorance ».

Je crois avoir clairement répondu à mes amis au sujet de cette jeune femme qui mérite que son nom soit honoré, que son œuvre soit connu et je leur demande de nous aider en tant qu'association en invitant les autorités de Wilaya, pour la création d'une fondation « Isabelle Eberhardt » (une fenêtre ouverte sur l'Europe), de rebaptiser la rue qui portait son nom jadis, l'achat de sa maison et sa restauration en petit musée, et qu' un centre culturel ou une école doit porter son nom. Ses livres, tous ses livres devraient être réédités et traduits pour les lecteurs en arabe. Une fois que tout soit concrétisé, on pourrait dire que nous avons fait notre devoir envers celle qui a choisi l'Algérie comme terre d'élection et de prédilection.       

 

PAR BELLAREDJ BOUDAOUD

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J
Rien de bien nouveau. L'auteur accrédite la fable de l'attaque du Gouverneur général de l'Algérie alors que c'est certainement un coup tordu du Bureau arabe de Beni-Ounif pour avoir une raison de punir les gens de Figuig.
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